Parce que parfois le destin me fout carrément les boules. Parce que parfois, je n’ai qu’une envie, c'est de me tirer d’ici pour ne plus être en galère à ce point dans la vie. Parce que finalement, je finis toujours par rester pour une seule raison, une seule personne, mais que je ne sais pas vraiment si elle a besoin de moi. C’est peut-être pour ça que je me laisse autant sombrer dans les bas-fonds de la ville… Parce que j’ai juste l’impression d’être et de rester cette merde que ma famille d’accueil a toujours dépeinte de moi. Je pensais qu’Hanaé pourrait être une raison suffisante pour me sortir de là, mais elle est partie bien trop vite pour que je puisse en apprécier toutes les opportunités.

C’est probablement pour ça que ce soir, j’ai fait un mauvais mélange alcool et drogue afin de soulager ma conscience et mon mal-être. Me persuader que même si je suis une merde et un boulet, ce n’est pas bien grave. Cependant, une fois ma dose prise, je ne suis plus vraiment moi-même. Non pas que je devienne violent ou quoique ce soit de ce genre, mais je ne parviens pas à me restreindre et en général, je me retrouve dans les rues sombres et froides à errer tel un clochard pour suivre mon instinct. Malheureusement, mon instinct me ramène continuellement vers cette fille qui me hante. Je me sens minable de toujours être dépendant d’elle alors qu’elle n’a clairement pas besoin de moi. Je tente de me persuader qu’elle a besoin d’un protecteur, mais je me berce d’illusions. D’une part parce que je n’ai rien d’un protecteur, plus maintenant. Et d’autre part parce que je suis un poids pour elle malgré le fait que je ne l’ai pas recroisé depuis des années. Je suis quasiment certain qu’elle n’a pas remis les pieds dans mon quartier depuis qu’elle est devenue une parfaite petite bourgeoise, mais moi, je n’arrête pas de me retrouver dans son quartier, soit pour affaires, soit parce que j’ai ce besoin viscéral de la voir, savoir qu’elle va bien, qu’elle est heureuse. En général, je repars en silence dans l’ombre de la nuit lorsque je la vois aller se coucher ou alors que je constate simplement qu’elle est heureuse.

Ce soir, pourtant, c'est un peu différent. J’arrive non loin de chez elle lorsque je la vois prendre un chemin à pied. Je reste à bonne distance derrière elle. Elle ne remarque pas ma présence et en même temps, j’ai presque une rue entière d’écart avec elle. Je marche en titubant ou en trainant des pieds parce que j’ai un taux d’alcool certain et que ma dose de cocaïne n’arrange rien, mais c’est un peu comme si j’étais habitué depuis le temps que j’en prends. Mon corps me réclame plus, mais je n’en prends pas plus qu’il ne faut parce que je me dois de rester apte, de faire mon boulot et de ramener à bouffer dans le squat où je crèche. Je ne suis plus au foyer depuis un bail, mais j’ai pris des gens sous mon aile et certains même qui sont avec moi depuis un bail.

Finalement, Hanaé arrive à un endroit qu'elle fréquence assez régulièrement. Et je remarque aussitôt que son connard de mec est là. Son fiancé même, j'ai entendu dire. Cela me débecte que ce mec soit avec elle, mais qu’est-ce que je peux y faire ? Elle m’a oublié, c'est évident depuis le temps. Elle a refait sa vie et a oublié son passé, d’où elle vient. Il parait même qu’elle a changé de prénom. Pour moi, elle restera toujours ma petite Naé que j’ai nourri et protégé. Je me sens comme pris de vertiges alors que tous entrent dans la maison. Je décide de me caler en face, sur un muret, près d’un buisson, dans l’ombre des arbres, je suis quasi non visible. Seule parfois la lueur de ma cigarette me trahit, mais je scrute l’intérieur de la bâtisse. Je vois Naé à plusieurs reprises qui passe devant une fenêtre.

Après quelques heures sur place, je songe à rentrer. Déjà parce que je commence à redescendre de mon état planant et d’autre part parce que je suis un peu en bad de la voir heureuse et accomplie quand je trime comme un taré pour rapporter 50$ aux autres. Mais alors que je me remets debout, je la vois qui sort… seule. Il est où son abruti de fiancé ? Intrigué de la voir seule, je comprends qu’elle veut s’isoler. Et comme si je me sentais pousser des ailes, je traverse la rue pour me retrouver non loin d’elle alors qu’elle s’éclipse vers l’arrière du restaurant. Je presse le pas, mais au détour du mur, je la perds de vue et je reste comme un con à la chercher. Ce n’est que lorsque je m’apprête à rebrousser chemin et je me retourne que je reçois un coup bref à l’épaule avant de recevoir une vraie droite :

« Bordel de merde. »

Je cogne contre le mur et je retire aussitôt ma capuche tout en portant ma main sur mon nez et en regardant qui m’a frappé. Mais mon regard semi-fier, semi-furieux croise celui de Naé qui m’engueule :

« Je fais ce que je veux Naé… Putain, t’aurais pu me casser le nez… »

Je secoue la tête avant de regarder à nouveau ma main pour voir si je saigne, mais non. C’était vif, mais je n’ai rien de grave. Par contre, entre la gueule de bois que je vais me taper demain et ça, je ne serai clairement pas frais. Je souris sadiquement en la regardant :

« Qu’est-ce tu fous dehors ? Tu te caches de ton fiancé ? »

J’appuie fortement sur le mot fiancé parce que oui, je veux qu’elle sache que je suis au courant. Les journaux ça parle et maintenant madame fait partie de la société, son nom est dépeint dans les pages des quotidiens les plus côtés. Et fatalement l’on m’a mis au courant parce que les gens qui me connaissent très bien savent que je garde un œil sur elle, de loin.

« Alors Naé, est-ce que je dois t’appeler Madame ou Milady ? Maintenant que t’es une bourge… »

Je suis hautain, méprisant et même méchant dans mes paroles, mais c’est un moyen de défense, rien d’autre. Ce n’est pour pas fondre dans ses bras et lui avouer combien elle m’a manqué et combien j’aimerais la rendre heureuse si je pouvais… Si seulement je pouvais…

Putain, cette douleur est vive et elle a le don de me remettre les idées en place. Elle est même carrément plus efficace qu’un remède contre la gueule de bois. Je me retourne vivement vers Naé parce que j’ai été surpris et je suis encore plus en extase qu’elle m’engueule. Je souris avec une certaine fierté. Elle a bien grandi, c’est devenue une putain de femme et j’aime ce que je vois à cet instant. Elle a gardé son caractère :

« Bah putain, t’as une sacrée droite ! »

Je repose mon regard sur elle et lui pose à mon tour une question sur son fiancé. Parce que ouais, je n’ai pas pu m’en empêcher… Elle va se marier putain et à cet instant où elle franchira ce cap, elle ne sera définitivement plus la gamine des bas quartiers. Mais même si je la vois agir avec aisance dans sa nouvelle vie, je crois qu’une part de moi veut encore croire qu’elle n’a pas oublié d’où elle vient, qu’elle ne m’a pas oublié.

« Ouais je sais… Tu pensais que je le verrais pas alors que t’es quelqu’un d’important… qu’on voit partout… elle est loin la gamine que j’ai toujours connue ! »

Je sais que je suis blessant, mais c’est plus fort que moi et même si j’ai parfaitement capté les paroles comme quoi, elle le fuit, je ne prends pas dessus, pas tout de suite. Non, à la place, je lui demande comment je dois l’appeler maintenant que nous vivons dans deux mondes différents. J’ai un sourire sadique sur les lèvres, partagé entre l’euphorie d’avoir une conversation avec elle à l’abri de tous les regards et entre la peine et la frustration de ne pas l’avoir pour moi tout seul. Marié contre son gré… elle le fuit… Je commence à coller les morceaux sans en avoir l’air. Ma voix se fait plus rauque et moins méchante et plus basse lorsque je reprends la parole :

« Tu resteras toujours Naé à mes yeux… toujours… »

Sans lui demander son approbation ou même sa permission, j’attrape sa clope et je tire une taffe alors qu’elle me nargue avec son Madame Luke Archibald. Putain, mais quel nom de naze. Je devrais peut-être lui refaire le portrait, il sera moins enclin à baiser avec ma Naé. Je crache la fumée à côté d’elle et la regarde dans les yeux.

« Madame Danaé Archibald… tsss… Ça te vas pas! Je préférais Hanaé Murphy… »

Je reprends une taffe et m’approche un peu plus d’elle en soufflant ma fumée vers le bas afin qu’elle aille dans son décolleté. Je la regarde, un sourire au coin des lèvres. Je prends mon temps, mes gestes sont plus lents. Mon regard dévie un instant sur ses lèvres, sur son décolleté avant de remonter à ses iris qui m’envoute instantanément :

« Ça fait longtemps… »

Je m’approche encore d’un pas et que je me retrouve alors très très près d’elle. Trop près peut-être pour que cela soit décent, mais j’en ai strictement rien à foutre. Si je m’écoutais, je serais d’ores et déjà en train de l’embrasser, de la toucher comme mes désirs les plus sombres me le demande. Pourtant, je ne fais rien, à part la regarder, respirer près d’elle et imaginer des scènes obsecènes dans mon esprit. Je retourne la cigarette entre mes doigts pour la lui tendre à nouveau et ajouter :

« Ça m’avait manqué nos embrouilles de gosses Naé… Tu m’as manqué... »

Je deviens peut-être un peu cinglé ou alors c’est son coup de poing qui me fait du bien mais j’aime la simple idée qu’elle m’ait touché même si c’était pour me frapper… et en prime elle m’engueule, ce qui a le don d’accentuer mon sourire sur elle…

« Au moins tu les auras touché… »

Je sais que je suis provoquant avec elle mais elle me tape sur les nerfs autant qu’elle me plait et je n’ai jamais caché que j’étais pas un mec bien… Je me drogue, j’ai pas de maisons, je deale… J’ai rien du prince charmant et pourtant… si elle savait tout l’amour que je pourrais lui donner et tout le plaisir du sexe… Oui, je sais, je pense plus avec ma bite qu’avec mon cerveau mais ça c’est pareil c’est pas nouveau… même si j’arrive pas à baiser avec des nanas… bref…
Je la regarde se défendre et me balancer que la ptite Naé que j’ai connue, elle est toujours là… Je plisse les yeux et pointe du doigt son visage :

« Ben elle est bien planquée sous ton maquillage parce que j’ai du mal à te reconnaitre…. »

Je la cherche parce que je sais que notre relation a toujours été comme ça, on s’est toujours chamaillé mais on est devenus des adultes, elle comme moi, et je dois avouer qu’elle est devenue une bien meilleure adulte que moi… Elle est belle, magnifique même… elle a du caractère et je pense que vu la fosse aux lions dans laquelle elle se trouve ça sera pas du luxe. Cependant pour moi, malgré les boutades et les pics, je vois toujours la petite Naé que je protégeais… J’attrape sa cigarette et lui réponds :

« Tu le seras toujours… la perle que je devais protéger… que j’ai pas su protéger… ni garder près de moi… »

Je renifle parce que je regrette tout ce qui s’est passé… Si j’avais su qu’elle serait emportée comme ça, je me serais interposé ou alors j’aurais été la chercher mais après j’ai vu qu’elle souriait, qu’elle avait une famille… Et vu son âge, elle méritait une famille… Et c’était clairement pas moi qui lui fallait. Alors je reprends mon masque de connard fini et je l’appelle par son nouveau nom de future femme de l’autre abruti et je beug à ce qu’elle me dit…

« Comment ça pas le choix ? Tu n’l’aimes pas ce mec ? »

Je reprends des taffes de sa cigarette tout en la matant ouvertement… putain, qu’elle est belle et sexy… elle est vraiment devenue sexy avec les années… et puis cela devient plus tendu, plus intense… je la regarde, je m’approche mais je ne la touche pas pour autant… mon regard en revanche la dévore des yeux, je sens son souffle qui se mêle au mien et je sais qu’il ne manque pas grand-chose pour que je craque, là, maintenant, à l’abri de tous les regards… Elle reprend sa cigarette mais ne quitte pas mes yeux… je me sens tout à coup très sérieux… et j’attrape son poignet, la forçant à jeter la cigarette sur le sol… Je regarde mon pied qui écrase de le mégot avant d’enfin poser mes mains sur elle… une sur son bras, remontant lentement jusqu’à son épaule… l’autre glissant dans son cou :

« Tu as bien grandi ma perle… »

Mon corps s’approche du sien et je sens le bout de ses seins sur mon torse… j’ai envie de la prendre contre moi, de l’embrasser et de la baiser ici et maintenant… mais elle est bien trop précieuse… simplement mon visage est si proche du sien… un baiser… rien qu’un baiser… mon haleine alcoolisée se mêle alors à la sienne plus fraiche et je finis par poser mes lèvres sur les siennes… Etrangement je suis doux, posé, calme… j’inspire lentement et je prolonge ce baiser quelques secondes avant de me reprendre, de poser mon front sur le sien et de murmurer…

« Des années que je rêvais de ces lèvres… »